itinisère - Publié le 22/11/2023
Je suis peintre et alpiniste : on appelle cela "peintre montagnard" mais l'inverse est vrai aussi. Je ne peins pas tant des montagnes que l'absence de montagne. Le besoin de montagne est un sentiment puissant qui déclare à qui veut l'entendre que la montagne est en nous et pas devant nous. La puissance des montagnes est une puissance de vie et d'élévation. L'aimer c'est vouloir vivre et certainement bien plus car souvent, l'alpiniste qui va en montagne cherche le risque pour sur-vivre. Vivre plus. La montagne n'est pas qu'un joli décor. Quand je la peins, je ne cherche pas à faire un "paysage". La montagne qu'on parcourt des yeux, des mains et du corps tout entier, est une invitation à sentir les forces qu'il y a en nous car nous sommes dans le monde comme il est en nous. Ce sentiment d'appartenance est souvent annulé par la mise en image qui nous coupe du réel. Le tableau est alors "devant" nous. Bien souvent les gens s'accrochent à reconnaître une montagne, s'accrochent à "l'image" parce qu’ils ne veulent pas perdre le sujet. Le chaos fait peur ! La tâche fait peur ! Les froissures du papier font peur! Le bleu fait peur !! Ce qu'ils ne savent pas c'est qu'ils sont déjà tombés dans ce bleu. Oui la couleur pour elle-même est une chute. Un équilibre se fait, j'espère entre ce qui tire, tend, chahute et ce qui calme, stabilise. Peindre en bleu revient à faire silence de ce si beau chaos. C'est dans cet intervalle que je travaille. Et puis qu'y a-t-il de plus excitant que de peindre une montagne de roc et de glace sur un papier si fin, si fragile, avec des tâches d'encres. C'est un défi bien physique perdu d’avance, c'est comme tenter d'éperonner une baleine avec un cure -dent. La fragilité est comme l'humour, une de nos plus belles façons de résister. Démarche picturale : mes aquarelles sont de grands formats 60x80cm, récemment j’en ai réalisé d’encore plus grandes soit 120x80cm sur un papier de riz idéal pour la calligraphie, réalisées avec une seule couleur : le bleu indigo, produite avec énergie elles sont à la fois brutales et douces par la lumière qui en émane. Les accidents, les ruptures de traits, le monde de taches qui s’édifie, tout cela concoure à mettre en avant ce qui fait la montagne, une somme de destructions. Le papier sur lequel je peins est froissé au préalable puis remis à plat. Un aller-retour entre une vision de près ou de loin fait passer de l’image (certains disent c’est une photo !) au travail des taches, bien réel lui (la peinture ). La puissance mythologique de la montagne est évoquée par la majesté de sa forme sculpturale et la monochromie qui plonge le spectateur dans une sorte d’envoutement sidérant, réveillant en lui les émotions et la puissance symbolique de la haute montagne. Pratique de la montagne : de nombreuses réalisations en alpinisme, beaucoup de ski de randonnée et majoritairement de l’escalade, notamment en grandes voies. Beaucoup d’ouvertures de voies nouvelles. Auteur de 2 livres : « Itinéraires d’un grimpeur gâté1 » et « itinéraires d’un grimpeur gâté 2 » Edition GAP 2010 et 2022 , mêlant Art et topographie, proposant des itinéraires en grandes voies calcaires avec des aquarelles , dessins et textes d’anecdote , renouvelant le genre des topos d’escalade .